Article de Ouest-France du 16/01/22

REPORTAGE.

À La Réunion, la route « la plus chère au monde » aujourd’hui dans l’impasse

À La Réunion, celle qui est surnommée « la route la plus chère du monde » est attendue par de nombreux Réunionnais. Pourtant, elle ne résoudra pas tous les problèmes de circulation, tant s’en faut, sur cette île inondée de voitures.

Environ 80 000 véhicules empruntent, chaque jour, la Nationale 1, qui serpente au pied de la falaise. La Nouvelle route du littoral doit relier Saint-Denis à La Possession. Elle est très attendue. Les travaux sont aujourd’hui dans l’impasse. Un raccordement pourrait être effectué à hauteur de La Grande Chaloupe.

C’est une route qui serpente sur les eaux de l’océan Indien, à bonne distance des falaises de la côte ouest de La Réunion. Un ruban d’asphalte de 5,4 km.

Vingt-neuf mètres de large, 48 piliers, une prouesse technologique relevée par les champions du BTP, Vinci et Bouygues, pour ce qui est considéré par certains comme le chantier du siècle à La Réunion.

Ce viaduc n’est que la partie émergée et spectaculaire d’un investissement comprenant aussi une route digue, l’ensemble représentant un tronçon de 12,5 km devant relier Saint-Denis à La Possession. Et qui, avant même d’avoir été ouverte, peut déjà s’enorgueillir d’un titre, celui de route « la plus chère du monde ». Estimé d’abord à 1,6 milliard d’euros, son montant a été réévalué, par les plus optimistes, à 2 milliards.

Le projet a été voulu par Didier Robert, l’ex-président (LR) de la Région Réunion, aujourd’hui retiré de la vie politique. Les panneaux de signalisation, déjà en place, n’attendent que les voitures et un raccordement, à La Grande Chaloupe dans un premier temps, en attendant la poursuite du chantier jusqu’à son terme, la commune de La Possession.

Les communes concernées par la nouvelle route. | OUEST-FRANCE

En attendant, les voitures circulent toujours vingt mètres plus bas, sur la route de la Corniche, au pied d’une falaise qui donne des sueurs froides aux Réunionnais. À chaque grosse averse ou lors d’un phénomène cyclonique, le trafic est dérouté plus haut, vers la route de la Montagne, avec de gros bouchons à la clé.

Des chutes de pierre fatales

D’immenses filets et grillages protègent les automobilistes des chutes de pierre. Mais les spécialistes estiment qu’un effondrement massif n’est pas à exclure. Les filets, dans ce cas, seraient bien dérisoires. | FRANCK DUBRAY, OUEST-FRANCE

Soixante mille véhicules empruntent chaque jour la Nationale 1, avec la crainte, pour les automobilistes, que la falaise leur tombe sur la tête. Ce n’est pas une fiction. Le 24 mars 2006, 30 000 m3 de roches se sont décrochés de la falaise après des éboulements massifs. Bilan : trois morts. En trente ans, vingt Réunionnais y ont perdu la vie.

Les risques d’effondrement de la falaise sont bien réels. Par endroits, ce véritable mur de pierres est recouvert d’un corset métallique (des filets anti-sous-marins de la Seconde Guerre mondiale) pour retenir la pierraille.

De louables intentions, même si ces filets seraient bien incapables de contenir un effondrement majeur. « Toutes les études menées sont arrivées à cette même conclusion : entre La Possession et Saint-Denis, nous ne sommes pas à l’abri d’effondrements de la falaise », confirme Didier Robert, qui défend son bébé .

Didier Robert, ancien président de la Région Réunion, promoteur de cette route. | FRANCK DUBRAY, OUEST-FRANCE

« Pourquoi on ferait les choses à l’économie ? »

Un scénario catastrophe qui justifie, à lui seul, l’investissement dans cette nouvelle route, supposée résister aussi aux cyclones de la région. Et qui imposerait, à l’entendre, de ne pas être trop regardant sur la dépense, principal reproche qui lui est fait.

« Quand on construit le viaduc de Millau ou le pont de l’île de Ré, est-ce qu’on se pose la question du coût », interroge l’ancien président et ancien maire du Tampon. Le premier a coûté 320 millions d’euros, le deuxième un peu moins de 60 millions d’euros. « Pourquoi est-ce qu’on ferait les choses à l’économie à la Réunion », ajoute-t-il, laissant supposer qu’il y aurait un deux poids deux mesures entre métropole et territoires ultramarins.

Pour le successeur de Paul Vergès (décédé en 2016), le projet est « financièrement stabilisé, il a donné de l’emploi et il respecte l’environnement ».

« Finir la route, mais pas à n’importe quel prix »

Pour Jean-Pierre Marchau, élu (Vert) à Saint-Denis, la Nouvelle route du littoral pèsera longtemps sur les finances de l’île. | FRANCK DUBRAY, OUEST-FRANCE

Une analyse qui n’est évidemment pas celle d’Huguette Bello, la nouvelle patronne de la Région et ex-communiste, élue en juin. Preuve que le sujet la préoccupe, elle a convié les élus de la Région sur le viaduc de la Nouvelle route du littoral (NRL) dès le 6 octobre. Puis convoqué une assemblée plénière le 27 octobre consacrée à la seule NRL.

Pour elle, cet investissement hypothèque sérieusement l’avenir de l’île. « Ce lourd héritage laissé par l’ancienne équipe pèsera inexorablement sur les moyens de développement d’un petit territoire comme le nôtre. » Elle s’engage pourtant « à finir cette route, mais pas à n’importe quel prix, pas dans n’importe quelles conditions. »

Le prix justement ? Le chantier initial devait représenter une facture d’un peu moins de deux milliards pour les Réunionnais. « On sera à trois milliards, voire beaucoup plus », redoute Jean-Pierre Marchau, élu (Verts) à Saint-Denis, adjoint d’Ericka Bareigts (PS)« C’est un boulet financier que la Réunion va traîner vingt ou vingt-cinq ans », craint l’élu, qui préférerait que le raccordement à La Grande Chaloupe soit définitif, « pour ne plus jeter l’argent du contribuable par la fenêtre ».

Des milliers d’« acropodes » ont été posés pour stabiliser la route-digue. Sauf que certains se brisent comme du verre ! | FRANCK DUBRAY, OUEST-FRANCE

Des surcoûts liés principalement à de nombreux contentieux entre la Région et le groupement Vinci-Bouygues, qui réclame une rallonge de 980 millions à 1,2 milliard, en raison de travaux supplémentaires non prévus.

Dernier souci en date, la question des « accropodes », ces énormes blocs de béton supposés stabiliser la route digue. Sauf qu’ils se cassent comme du verre, ce qui va obliger à les changer.

Paradoxalement, malgré une facture qui s’envole, « les Réunionnais attendent cette nouvelle route », remarque Vanessa Miranville, la jeune maire écolo de La Possession, ville asphyxiée par la pollution, et, tout près du port, véritable porte d’entrée économique de l’île. « Tout passe par là », rappelle-t-elle.

« La victoire du lobby de l’automobile »

Pour François Payet, avec la NRL telle qu’elle a été voulue par Didier Robert, les transports en commun ont été « sacrifiés ». | FRANCK DUBRAY, OUEST-FRANCE

Avec plus de 360 000 voitures individuelles immatriculées sur l’île, « plus de 400 000 si l’on ajoute les taxis, camions, ambulances », précise Jean-Pierre Marchau, la voiture a un avenir tout tracé à la Réunion. Les bouchons aussi.

Sur l’île, et plus particulièrement à Saint-Denis, on se croirait parfois sur le périphérique nantais aux heures de pointe, le soleil en plus. « La NRL, dit-il, c’est d’abord la victoire du puissant lobby de l’automobile. »

« Le culte de la voiture, associé à un sentiment de liberté, est fort sur l’île », constate Vanessa Miranville, maire de La Possession. Tellement que les transports en commun ont toutes les peines du monde à se faire une place. Ils sont perçus comme ringards. « Pour ramener les gens vers le bus, il y a un gros travail à faire. »

« Transports en commun sacrifiés »

Ary Yeé Chong Tchi Kan, figure du toujours puissant Parti communiste réunionnais. | FRANCK DUBRAY, OUEST-FRANCE

Le train est lui aussi inexistant, « alors qu’il a eu une place centrale dans le développement de l’île avant d’être démantelé, puis abandonné, pour des questions politiques, car la CGT était trop puissante », analyse Ary Yeé Chong Tchi Kan, pilier du Parti communiste réunionnais.

Pour François Payet, de l’association Alternative transports Réunion, « les transports en commun ont été sacrifiés par Didier Robert (élu président du Conseil régional en 2010) alors que le tram’train figurait dans le projet de Paul Vergès », son prédécesseur. Plus grave, analyse-t-il, « avec ce projet, on aggrave la dépendance de la Réunion vis-à-vis de l’État ».

La nouvelle route du littoral pourrait ouvrir d’ici un an et demi. Avec un raccordement du viaduc au niveau de La Grande Chaloupe au lieu de La Possession. Une sortie de route provisoire ou définitive ? Jean-Pierre Marchau préférerait la deuxième option. « Pour qu’on arrête les frais ! »

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