Options Tunnel
Transcript de la conférence
« OPTION TUNNELS »
par Guy Pignolet
Techsud Alpha – 14 février 2020
Cette conférence a été transcrite et distribuée aux personnes intéressées.
Il y aura une autre conférence en avril, organisée par l’association ATR-Fnaut En ouverture, j’ai mis une image qui est bien connue. Nous sommes à La Réunion. Nous reconnaissons la NRL, Nouvelle Route du Littoral, qui est une des options majeures de transport pour notre île. Nous savons tous qu’elle connaît des problèmes de finition. Il y a la partie viaduc, et puis il y a les trois kilomètres de la partie digue, qui ont des problèmes d’approvisionnement en roches.
Nous allons là entrer directement dans le sujet de cette conférence sur les options tunnel. J’avais fait une petite note l’an dernier pour dire que pour avoir des roches et de quoi remplir la digue, on pouvait à côté creuser un tunnel entre La Possession et Saint-Denis, un grand tunnel où l’on
trouverait les matériaux pour construire la digue, et en plus, en bonus, on aurait un tunnel quand ce serait fini, pour doubler la route en mer. C’était un peu une plaisanterie, parce que ce n’est pas sûr qu’on trouverait de bonnes roches qui ne soient pas susceptibles d’être désintégrées par des
affouillements. Sous la route actuelle, sous l’ancienne route, il y a des affouillements qui la
fragilisent, en emportant le matériau de remplissage, j’ai lu ça récemment.
Je vais souvent au Japon, et au Japon j’ai trouvé de l’inspiration pour une autre option pour les
systèmes routiers de La Réunion. Là c’est à Hokkaido. Hokkaido, c’est une région beaucoup plus
grande que La Réunion, elle fait cinq cents kilomètres du Nord au Sud. Sapporo, la capitale
régionale, compte deux millions d’habitants, c’est une autre dimension.
J’ai un ami japonais qui un jour m’a emmené dans un restaurant de poissons à une cinquantaine de kilomètres à l’Est de la ville de Sapporo, le long d’un littoral où on se croirait presque à La Réunion sur la route du littoral, l’ancienne. Nous voyons qu’il y a un tunnel. Il y a une demi-douzaine de tunnels comme ça sur les cinquante kilomètres, qui font entre cinq cents mètres et un kilomètre et demi de long chacun. On n’a pas peur des tunnels au Japon.
Il se trouve aussi qu’au Japon je fais partie du Comité International des Programmes de l’ISTS sur
les Sciences et Technologies Spatiales et que l’année dernière, je suis allé à un congrès qui se
déroulait à Fukui, une région japonaise que je ne connaissais pas du tout. Nous voyons Tokyo, Nagoya, Osaka. J’ai beaucoup de relations avec Gifu, au nord de Nagoya, Gifu qui ressemble déjà beaucoup à La Réunion.
Quand on monte vers les hauts de Gifu, à trois mille mètres d’altitude, on est dans des routes, des paysages, qui ressemblent à la route de Cilaos. Et au nord de Gifu, de l’autre côté des montagnes volcaniques, nous avons la région de Fukui. Nous voyons ici les frontières de la région de Fukui, qui se trouve à deux cents kilomètres au nord de Nagoya. Nous voyons toutes les montagnes, c’est le fruit du volcanisme, ce sont des paysages réunionnais. C’est une photo satellite. La région de Fukui, là-bas les régions s’appellent des préfectures, a en tout sept cents mille habitants. Et il y a au milieu une sorte de plaine dans laquelle nous voyons la ville de Fukui. Allons jusqu’à Fukui-city, la capitale régionale, qui a quelque chose comme deux cents mille habitants. Je vais passer un bout de film sur l’histoire de la ville. Ce qui est remarquable, c’est que la région de Fukui n’a que trois siècles et demi d’existence. Il y a trois siècles et demi, c’était un petit château où il y avait un seigneur féodal entouré de quelques paysans. Et c’est à partir de là que Fukui a commencé à se développer. Il reste au centre de la ville les fortifications au centre desquelles se trouvait le château, et c’est là qu’aujourd’hui le gouvernement régional s’est installé. La ville moderne s’est construite tour autour de ce vieux centre de Fukui.
Ça m’a interpellé, ces trois cent cinquante ans, ces sept cents mille habitants, ces paysages
volcaniques. Finalement, même si ce n’est pas une île, c’est très proche de nous. Pour aller à
Nagoya, il faut traverser les montagnes de Gifu, à trois mille mètres, et c’est bien séparé. Dans le
développement du Japon, la construction de Fukui ne s’est donc faite que depuis trois siècles.
Notre congrès était là-bas, à Fukui, pendant une semaine, nous étions environ mille cinq cents
personnes du monde entier. Beaucoup de Japonais. C’est très intéressant, parce ce congrès ISTS,
International Symposium in Space Technology and Science, a d’abord été ce que j’appellerai un
congrès d’entraînement. Il était international, mais c’étaient 90 % de Japonais, et 10 % de
participants qui venaient du reste du monde. Du fait que c’était international, cela obligeait les
chercheurs et les étudiants japonais à s’exprimer en anglais et dans le format des grands congrès
internationaux. C’était un entraînement qui leur permettait de ne pas être déboussolés quand ils se retrouvaient dans d’autres endroits du monde pour participer à des rencontres internationales.
Depuis une demi-douzaine d’années, depuis le début des années 2010, il y a eu un changement, et c’est à ce moment-là que je suis entré au Comité International des Programmes de ce congrès où je vais régulièrement depuis une vingtaine d’années. Nous sommes passés de huit cents participants à mille cinq cents, et nous sommes passés à une proportion de 40 % de non-japonais ce qui en fait un véritable congrès international, aujourd’hui le troisième plus grand congrès spatial mondial. Nous avions donc cinq jours de rencontres, avec le lundi matin les discours d’ouverture, où est intervenu le préfet de région, c’est à dire le président de la région. J’ai été très frappé par les accents, qu’on pourrait presque qualifier d’autonomistes, de son discours d’ouverture, où il a affirmé la volonté de développement de la région de Fukui. Il a dit étonnamment haut et clair « Tokyo c’est Tokyo, et Fukui, c’est Fukui ». « Nous sommes Japonais, mais nous ne prenons pas nos ordres de Tokyo ». Cela rappelle des propos qu’on entend souvent à La Réunion concernant nos relations avec les autorités parisiennes. Il y a à l’Université de Fukui, qui est à peu près de la même importance que l’Université de La Réunion, un groupe de fabrication de satellites. C’est quelque chose que j’essaye depuis des années de développer dans notre région avec un succès mitigé. Il y a plus de vingt ans, des élèves de Troisième du Collège Reydellet ont fait le premier satellite collégien du monde, un modèle réduit fonctionnel du premier Spoutnik. Depuis, avec l’apparition des nouvelles technologies et des cubesats, avec la réduction de la taille des composants et l’émergence du numérique, nous avons à La Réunion la capacité humaine et technologique de faire des petits satellites. Je le sais parce qu’en 1980 j’étais président de l’association régionale des ingénieurs. Simplement nous n’osons pas. Cela va faire quarante ans que je titille la Région et les groupements industriels pour faire un peu plus de
spatial actif à La Réunion. Maintenant, il y a Nexa, qui aurait pu me mettre dans un groupe de travail. Mais ils ont préféré faire appel à un groupe de consultants basé à Lyon pour savoir quel pouvait être l’avenir des petits satellites et des cubesats à La Réunion. Bien sûr, le cabinet lyonnais m’a appelé pour m’interviewer longuement sur le sujet. Cela aurait été plus simple si la Nexa m’avait dit directement « vous venez et on se fait des réunions de travail sur le spatial réunionnais ».
Dans les personnes qui accompagnaient les sorties en marge du congrès ISTS, il y avait l’un des
responsables du développement économique et industriel de la région de Fukui. J’ai eu l’occasion de parler avec lui, il m’a envoyé un certain nombre de documents. C’est un contact d’excellent niveau si nous voulons développer des relations avec la région de Fukui. Je pense qu’il faudra le faire, aussi bien sur le plan technique que sur celui des échanges universitaires et culturels.
Comme on le voit sur le tracé de la route Hubert Delisle dans les hauts de La Réunion, pour notre
réseau routier, nous suivons les courbes de niveau. D’une manière générale, les routes font
énormément de courbes. La route des Tamarins est un peu une exception, nous sommes allé tout
droit, avec des ponts, et il y a un tunnel et des tranchées couvertes à Saint-Paul et à Saint-Leu. Et
pour la Route du Littoral, nous avons choisi d’aller en mer. Il semblerait qu’à La Réunion les options « tunnel » soient rejetées. Peut-être parce que nous avons peur, comme nos ancêtres les Gaulois, que le ciel ou la montagne nous tombe sur la tête. Il y a bien des options « semi-tunnel » qui ont été proposées, par exemple de mettre des casquettes pour couvrir une route qui serait juste au pied de la falaise, comme on en trouve dans les montagnes en Suisse. Si il y a des éboulements ou des avalanches, ça passe par dessus, c’est éjecté et ça tombe de l’autre côté de la route, sans que ce soit tout-à-fait un tunnel. Même ces options ont complètement été rejetées dans les études.
François Payet : Le rapport de présentation de la NRL rappelle les études comparatives
esquissées depuis 2004, qui envisageaient parmi les scénarios un scénario tunnel. Mais ce scénario tunnel a été écarté d’un revers de main à partir du moment où on proposait de faire un tunnel deux fois deux voies. Et là deux fois deux voies avec un seul tunnel, c’est hors de prix. C’est l’argument avancé. Et il est classique de faire peur à tout le monde quand ça coûte trop cher. Si on avait dit que la solution actuelle allait coûter cent cinquante six millions d’euros du kilomètre, on aurait reculé aussi sur cette solution. Mais quand on a laissé croire que cette option pouvait coûter moins cher, évidemment ça a été présenté à la DDE à l’époque, en 2006, comme étant le scénario le moins cher et le plus adapté, parce que le foncier était maîtrisé. Pour l’État, c’est toujours ça, je maîtrise la mer, je fais ce que je veux dans la mer, je ne demande d’autorisation à personne, je fais les procédures et l’État est le facilitateur administratif, l’État c’est moi, il fait ce qu’il veut. A partir de là, comme je dois financer en partie, je vais demander à la Région, c’était en 2006 pour l’APS, de faire l’effort d’accepter le scénario le moins cher, on élimine le tronçon tunnel qu’il y avait dans l’un des scénarios proposés à l’époque, avec un scénario digue sur La Possession, viaduc sur la Grande Chaloupe, et tunnel pour terminer sur Saint-Denis. L’État avait mis dans la balance de son co-financement du TramTrain, auprès de la mandature régionale de l’époque, une demande de réduction du coût en supprimant la partie tunnel, en prétextant le coût, et en le remplaçant par un prolongement de la partie viaduc de la Grande Chaloupe. Ce qui fait qu’il ne restait plus que la solution dite viaduc, beaucoup plus près du pied de falaise, moins chère que la solution actuelle, et évidemment qui a été présentée comme LA solution. On maîtrise le foncier, tunnel éliminé en disant que c’était une solution pas possible, depuis La Possession jusqu’à Saint-Denis, comme envisagé pour le TramTrain, et je crois que c’est ce scénario qui avait été envisagé pour la NRL à l’époque, avec un débouché du tunnel à mi-distance sur le boulevard Sud U-2. Ça aurait permis à l’époque de faire une troisième pénétrante sur Saint-Denis, celle qui manque puisque actuellement on est bloqués sur le Barachois. Le tunnel n’est pas exclu à l’avenir, et je pense que ce sera intéressant lorsqu’on refera une autre conférence sur le sujet pour toucher du monde. Il y a des tunnels encore potentiellement à faire à La Réunion. Pour aller d’un point à un autre, quand il y a la montagne, on ne passe pas par la montagne, on essaye autant que possible, de passer en dessous. D’ailleurs, pour le CFR, c’est ce qu’ils ont fait, et ils ont pris l’opportunité d’avoir la mer au pied de la falaise pour pouvoir creuser le tunnel à partir des puits de ventilation qui étaient perpendiculaires. A Fukui, on revoit l’image satellite de la région de Fukui, délimitée par des montagnes, il y a une région centrale à peu près plate où l’on voit la ville de Fukui-City. Dans les montagnes autour, pour le réseau routier, il y a cent cinquante tunnels, ce qui est énorme. Le gouvernement régional de Fukui m’a envoyé toute la liste de ces tunnels, avec leurs longueurs : 342m, 970m, 160m, 1500m, 1400m, un kilomètre, etc., il y en a cent cinquante, qui ont été faits essentiellement pour y passer des routes, et pour quelques-uns des voie ferrées. Une route avec des tunnels, ça va tout droit !
A l’occasion d’une excursion en bus, j’ai pris quelques images, nous voyons comment sont les
routes, nous voyons les paysages, nous sommes presque dans des décors réunionnais.
On roule à gauche au Japon. Ce sont des tunnels deux voies, c’est plus abordable, et deux tunnels
deux voies, ça fait un tunnel quatre voies, il n’y a pas besoin de faire les quatre voies dans un même tunnel, et c’est mieux pour la sécurité. Sur la question du creusement des tunnels, j’étais allé chez nous voir le chantier du basculement des eaux et son tunnelier. On a beaucoup exagéré les problèmes de tunneliers. J’ai aussi compris qu’un tunnelier est fait pour un projet donné, pour lequel on fait une étude. Pour faire deux tunneliers, ça coûte le prix d’un tunnelier plus des chouïas. Pour trois tunneliers sur un grand chantier, c’est trois chouïas en plus du prix d’un seul tunnelier, parce que ce sont les mêmes études de base. Il y a des peurs irraisonnées quand on met en avant le coût de creuser un tunnel.
François Payet : En ce qui concerne la NRL, ils avaient avancé en tout trois arguments en fait. Ils
ont avancé l’argument financier : laisse tomber c’est plus cher, on ne fait pas. Et puis ils ont
avancé un argument qui se voulait technique, qui consistait à dire que pour rentrer depuis la
Grande Chaloupe dans un tunnel, il faudrait prendre la falaise en biais et là, on ne pourrait pas
stabiliser la falaise. On prétendait que c’était risqué. Et enfin il y avait l’argument suprême, c’est
que les Réunionnais sont claustrophobes. Ce sont les arguments. Et puis n’oublions pas le tunnel du Mont Blanc. Quand on prend tout cet ensemble d’arguments, c’est fini, on a tué un projet.
Pendant la semaine de dix jours que j’ai passée dans la région de Fukui, en rencontrant des gens et en passant dans des kilomètres de tunnels, je me suis dit que nous ne devions pas, à La Réunion, n’avoir seulement que le modèle européen hexagonal. Il nous faut aussi aller chercher dans d’autres environnements, dans des choses qui nous ressemblent, et j’ai été frappé par la manière dont la région de Fukui nous ressemble. C’est une île qui n’est pas entourée par des océans mais par ses montagnes, et qui nous ressemble par ses structures, par son histoire, par sa vie. Ils n’ont pas peur des tunnels, ils en ont fait cent cinquante pour leur réseau routier.
François Payet : Il faut se souvenir qu’au niveau de la réglementation, on n’a pas besoin de
tunnels de retournement quand on est à moins de deux kilomètres. Par exemple un tunnel qui fait
2,4 km comme celui que j’ai vu, il lui faudrait, à peu près à mi-distance, un tunnel de retournement pour les semi-remorques ou les camions de pompiers, pour qu’ils puissent faire la manœuvre et repartir pour éviter les accidents comme on a pu en voir. Et puis bien sûr, si c’est une quatre voies il faut un tunnel de sécurité entre les deux. Si on a une vision claire d’aménagement de ce qu’on peut planifier comme tunnels dans l’île, en fonction des besoins, sans prendre les problèmes au pied levé au fur et à mesure, si on a une vision d’ensemble, à partir du moment où on anticipe sur les besoins de l’île, on peut effectivement imaginer de développer un savoir-faire, notamment à partir de l’expérience des tunnels des quarante kilomètres du basculement des eaux, et voir comment on peut utiliser ces techniques-là pour exploiter des communications terrestres. Le fait qu’on passe en tunnels, ne doit pas interdire de passer autrement, en téléphérique ou par d’autres moyens. Beaucoup des arguments qui ont été avancés ici contre les tunnels apparaissent peu sérieux dès qu’on les regarde d’un peu près.
Julien Balleydier : Sur la photo, à gauche, ça doit être autre chose qu’un tunnel routier. Les
Japonais roulent à gauche. Ça doit être un tunnel de train. A Lyon, sous la Croix Rousse, ils ont fait
un tunnel pour éviter de passer par dessus ou de contourner. Je sais qu’il y a un tunnel pour les
vélos et les piétons, et je crois qu’il y a deux tunnels pour les voitures, deux fois deux voies. Je viens de la région Rhône-Alpes, je suis passé sous des tunnels toute ma vie, je ne comprends pas en quoi c’est compliqué de faire des tunnels.
François Payet : Le tunnelier, ça coûte cher de toute façon, c’est pour ça que si tu planifies la
chose, tu peux espérer rentabiliser ton tunnelier. Maintenant, c’est un savoir-faire très spécifique.
C’est très robotisé aujourd’hui. L’intérêt c’est quoi ? Si on va vers un million d’habitants, même si
on développe du transport en commun, le parc automobile ne va pas rester ce qu’il est aujourd’hui. Il croîtra peut-être moins vite si on développe les transports en commun, mais si il continue à croître, le nombre de kilomètres de routes qu’on a à La Réunion ne suffira pas. Il suffit de voir comment les entrées de ville sont déjà saturées, au nord comme au sud. Pour aller à Saint-Pierre, j’y vais tous les mardis ces temps-ci, on ne peut pas entrer, quand on veut prendre le boulevard Banks, on ne peut pas, parce que les ronds-points sont complètement saturés, donc on n’arrive même pas à passer. Ça me rappelle l’attitude que j’avais pour le boulevard sud de Saint-Denis en 1980 quand je disais qu’avec les voitures qu’on avait à La Réunion, nous n’allions quand même pas faire une autoroute en ville, on va faire un boulevard urbain. On a le boulevard urbain. Et aujourd’hui on doit peut-être envisager de réaménager le boulevard sud pour pouvoir fluidifier le transit par rapport aux dessertes intermédiaires de la ville. Donc c’est le même problème sur le
réseau routier, on le fait pour répondre aux besoins immédiats, les pouvoirs publics et la Région ne donnent pas l’impression d’anticiper sur le long terme cette variation du parc, même modulée avec les transports en commun, en corrélation avec le réseau routier départemental, régional et
communal. On ne voit pas cette vision de long terme, planifiée, qui permette de se rassurer sur
comment on va circuler.
On peut penser à un autre volet de réflexion. On vient de voir que dans des environnements très
comparables à ceux de La Réunion, il y a des gens qui choisissent une option avec une priorité aux tunnels, et c’est une option qui fonctionne bien. Comme François Payet vient de le dire, tous les arguments qu’on a avancés contre les tunnels à La Réunion sont un petit peu bidon, artificiels. Et c’est une autre dimension, plus modulable, que nous abordons maintenant.
Il y a près d’une vingtaine d’années, quand nous étions dans le contexte TramTrain, j’étais encore avec le Cnes à Paris et je faisais le grand écart entre ma case à Sainte-Rose et mon bureau
à Paris. Je participais souvent à des réunions d’ingénieurs, dont une en particulier où il y avait des ingénieurs de la RATP. Il faut savoir que la RATP ne fait pas que des métros parisiens, mais
qu’elle a aussi toute une section d’expertise pour aider des villes du monde entier à construire leurs métros. J’avais eu l’occasion de parler avec eux du problème de La Réunion et de l’idée d’un
express régional, un anneau qui fasse le tour de La Réunion, un peu dans le style RER, avec beaucoup de tunnels bien sûr, beaucoup de souterrains dont une partie pourrait être en tranchée
sous des routes existantes, en particulier dans l’Ouest. Avoir un anneau aurait beaucoup d’avantages. D’abord du point de vue foncier, je crois qu’au-dessous de cinq mètres de profondeur, c’est l’État qui gère, comme pour la mer, avec toute la liberté foncière. On passe sous le Grand Brûlé, où l’on craint les éruptions parce qu’elles coupent la route, mais si on passe à cinquante mètres de profondeur, une éruption peut passer en surface, ça ne gêne pas, ce n’est pas ça qui va déranger ce qui passe à cinquante mètres en dessous. Les chambres magmatiques sont très localisées, nous connaissons leur emplacement. Il y avait eu pour la géothermie des sondages d’exploration, en particulier là où nous avons eu ensuite les statues Oiseau et Volcan. Nous sommes descendus jusqu’à trois mille mètres de profondeur, et ce qui est extraordinaire, c’est que nous avons trouvé des gradients thermiques réguliers, normaux. Nous ne sommes pas tombés sur des chambres magmatiques, qui sont quelquefois à mille ou mille cinq cents mètres au dessus du niveau de la mer, ou en dessous, mais c’est très localisé. Nous sommes sur l’un des volcans les mieux étudiés du monde, et nous savons où sont les chambres magmatiques. Avec ATER, nous passons en dessous des coulées de lave, et ce ne sont pas les éruptions qui vont déranger des tunnels qui sont à cinquante mètres de profondeur. Ça peut passer. Il y a des tremblements de terre à La Réunion, mais ils sont très faibles, c’est un des autres aspects
du fait que les matériaux dont nous sommes constitués ne sont pas très solides, et il arrive qu’ils
s’effondrent, mais les tremblements de terre ne sont en général pas dramatiques. En cas d’accident géologique, de petits tremblements de terre qui affecteraient une partie de tunnel, avoir un anneau fait qu’on mettra plus de temps pour faire le tour, mais cela n’interrompt pas le trafic. Et si on a un double anneau, c’est pratiquement la sécurité de fonctionnement garantie.
Et en particulier, le grand risque au niveau des transports, ce sont les cyclones. Je ne nous vois pas
en train de rouler avec un camion sur le viaduc de la NRL pendant un cyclone, le risque de se
retrouver au fond de la mer est important. Tandis que pendant un cyclone, un anneau souterrain peut continuer à fonctionner. Les endroits à sécuriser, ce sont les gares de sortie, sur des surfaces
limitées. C’est un autre aspect positif d’un système ATER. Pour creuser un double anneau autour de La Réunion, cela prend des années,. Avec trois ou quatre tunneliers qui font chacun cinquante mètres par jour, il faut vingt-cinq ans pour faire les cinq cents kilomètres du double anneau. Nous avons donc une activité qui reste soutenue. Ensuite, il y a tout l’entretien, on ouvre donc un secteur économique pérenne, et on ne se retrouve pas comme pour la Route des Tamarins ou la Nouvelle Route du Littoral, quand au bout de dix ans, on doit réorienter les milliers de travailleurs qui ont œuvré sur le chantier. On a une activité stable dans la durée, ça a énormément d’avantages.
Pour compléter le transport de voyageurs, nous n’avons plus nécessairement à travailler dans un
système de lignes de bus avec des itinéraires fixes et des horaires fixes. On a aujourd’hui de
nouvelles technologies de gestion des transports. J’ai vu récemment à Paris les trottinettes
électriques, elles sont partout. Ce n’est plus comme Vélib qui a fonctionné pendant une dizaine
d’années à Paris, où il y avait des stations de dépôt des vélos. Maintenant, chaque trottinette a son GPS. On la laisse sur le bord du trottoir, l’organisme de gestion des trottinettes sait où elle est. Et quand vous allez en chercher une sur votre téléphone, on va vous dire où est la trottinette la plus proche sur le bord d’un trottoir, qu’on va vous réserver et que vous pourrez prendre. L’étude de la RATP était en 2003, il n’y avait pas encore ces technologies informatiques de gestion pour compléter l’anneau ferroviaire par des extensions routières à la demande à partir des gares.
Si nous voulons bien y penser, si nous refusons les peurs irrationnelles des systèmes souterrains,
nous avons avec ATER un projet tout à fait jouable, raisonnable, qui peut être un futur grand
chantier dans une vision à long terme du développement de La Réunion. Le double anneau de
transport souterrain ATER, c’est pour La Réunion tout un nouveau secteur de compétences,
d’emplois, de dynamisme.
Ces tunnels, qui seront d’abord ferroviaires, pour le transport des personnes, doivent être à un
gabarit qui permette le transport des containers. Cela permet le développement économique de
zones comme Saint-Joseph ou Saint-Philippe, où l’accès est actuellement difficile. La majorité des
développements économiques sont aujourd’hui sur un axe Saint-Denis – Le Port – Saint-Paul –
Saint-Louis – Saint-Pierre. Tout le reste est négligé, en particulier à cause de ces problèmes de
transports. Si on rend tout le tour de La Réunion accessible aux containers, c’est un souffle
extraordinaire pour soulager les concentrations en particulier sur Saint-Denis, Saint-Pierre, le Port.
Pour les personnes, on peut avoir des systèmes de petits transports, des mini-bus, qui soient à la
demande, c’est à dire sans horaires fixes. On appelle, on dit « je suis à tel endroit », je voudrais aller au pôle d’échange qui va être l’une des gares du réseau ATER, et le système répond « dans dix minutes vous avez une voiture qui passe devant chez vous pour vous prendre ». C’est gérable
aujourd’hui, c’est pour cela que je prenais l’exemple des trottinettes. Avec le GPS et l’informatique, nous n’avons plus besoin de lignes régulières des transports publics avec des itinéraires de lignes imposés. Et plus on va vers les hauts et plus ça se dilue. Avec le système de gestion à la demande, géré informatiquement, on va chercher les gens chez eux et on les ramène chez eux.
Quand aujourd’hui on met une ligne avec des bus, elle n’a qu’une efficacité limitée, parce qu’il y a
des horaires fixes, elle ne passe pas souvent, et si on n’est pas sur la ligne de bus, si on est à un
kilomètre, il faut aller à pied jusqu’à un arrêt. Tandis que là, on va se retrouver avec du porte à
porte. A Los Angeles, le Super-Shuttle de l’aéroport est un système qui fonctionne un peu comme
ça. Il prend les gens, qui ne vont peut-être pas directement là où ils veulent, parce qu’il y a peut-être deux ou trois personnes dans le mini-bus à déposer avant sur un parcours qui est géré par un ordinateur comme pour la gestion de la conduite assistée GPS. Il n’y avait pas tout ça il y a vingt ans ou vingt-cinq ans quand on faisait des schémas de transports régionaux.
Aujourd’hui, on peut mettre une boucle de transport ferroviaire, passagers et marchandises,
complétée par des éventails qui partent des gares avec des transports à la demande qui vous
prennent chez vous et qui vous ramènent chez vous. C’est une option d’avenir, et on a aujourd’hui les technologies. Cela peut aussi amener les gens à réduire l’usage de la voiture personnelle. C’est un hybride entre les taxis et les transports publics actuels. On a les gares le long de la côte, et les transports à la demande qui marchent en éventail à partir des gares d’échange. Il y a des algorithmes qui vont jouer sur la multiplicité et la disponibilité des petits véhicules de transport public.
Avec le système ATER, imaginé en 2003 avec des collègues de la RATP, on peut multiplier les
gares, et faire éventuellement des dérivations depuis l’anneau principal vers des zones industrielles.
François Payet : Nous sommes en contact avec des usagers des transports, notamment sur le
Tapage, où cette population se mobilise souvent sur les problèmes des transports en commun. J‘ai rencontré également récemment la SEMITEL sur ce sujet. Il apparaît que pour les organisateurs des transports, il leur faut trouver un équilibre, on va dire comptable, entre l’augmentation de la fréquence par la diminution de la taille des bus, et la capacité de transport des personnes en fonction notamment des heures d’affluence. Quand on regarde cela et la capacité financière d’investissement et donc les budgets mobilisés, si on voulait par exemple prendre des tout petits bus électriques, ils ont du mal à monter, les bus puissants qui sont les moins chers, ce sont les diesels.
Les bus électriques sont beaucoup plus chers. Si on prend un gros bus, le coût d’investissement au passager est moins cher que le coût d’investissement au passager sur des petits bus. Ce qui est
logique. Donc ça pose vraiment les problèmes de
- quel est le service de transport en commun que l’on veut pour la population ? Est-ce qu’on est en mesure d’assurer le service demandé quant aux fréquences et aux zones d’affluence ?
- quel budget la société est-elle prête à mettre sur la table ? Quand on prend la société dans sa globalité, en l’occurrence pour la Semitel, c’est la Civis, j’apprends que tous les bus d’Alterneo seraient des bus payés par la Civis, et donc cela veut dire que les transporteurs qui figurent dans cet espèce de groupement qui a remporté la délégation de service public sur la Civis, ce groupement composé de la Semitel, de Transdev, qui est la Caisse des Dépôts et Consignations, et des transporteurs privés, il y en a trois à peu près de mémoire, Moullan
et deux autres, les transporteurs qui sont dedans n’ont pas de bus pour la délégation de service public, ils n’ont que des chauffeurs. Ce sont des entreprises de chauffeurs. C’est extraordinaire !
Cela pose la question de savoir à ce moment là quel est le sens du cahier des charges de la
délégation de service public qui met parmi les critères d’attribution la possession d’un certain
nombre de bus, je crois cent ou cent cinquante. Or il n’y avait pas d’autre concurrent que ce trio là. Donc quand on pose le problème du transport d’une façon générale à La Réunion, la question de l’infrastructure, communale, départementale, régionale, que ce soit pour les déplacements individuels ou les transports en commun, cela butte toujours sur les problèmes d’organisation, de concurrence oui ou non, et on va dire de favoritisme, de marché quelque part. Quel budget la société est-elle prête à mettre sur la table, dévolu à l’avance à un certain nombre de gens ? Il est difficile pour la Civis de se passer de la Caisse des Dépôts et Consignations. La Semitel est une SEM qui regroupe les communes de la Civis, or ils ne peuvent pas sélectionner la Semitel seule parce qu’ils ont le devoir de mettre en compétition toutes les SEM, sinon c’est du favoritisme. C’est comme ça aussi pour les SEM de construction de logements. Donc le seul moyen, c’est de regrouper Transdev et la Semitel avec les transporteurs. Et ça fait un conglomérat qui simule une présentation d’offre de service public, qui emporte le marché parce qu’il n’y a pas d’autre concurrent. Le cahier des charges a été fait sur mesure et on en arrive là. Quand il y a d’autres concurrents, ils sont écartés parce qu’ils ne correspondent pas au cahier des charges. C’est du délire complet. Concernant les infrastructures de transport, pourquoi pas ? On aurait pu imaginer que le RRTG soit sous forme d’un souterrain qui fait le tour de l’île, pourquoi pas ? C’est à étudier. Il faut regarder le prix. Le SETU a fait une étude sur l’ensemble des prix et des techniques pour les tunnels. Il suffit de la prendre et de la potasser, il y a plus de cent pages, donc ça ne se lit
pas en livre de chevet. Cette solution là ne serait valable que si Bouygues ou Vinci avaient des marchés de tunneliers à conquérir dans le monde. Si tel était le cas, nous serions les premiers à être servis, aux frais bien sûr des collectivités locales, cela va sans dire. Sauf que là, c’est parti pour combien, trente ans ? Les emprunts de la Région, c’est à peu près ça, donc on va devoir attendre trente ans avant de pouvoir réinvestir. Ça peut être plus avec les coûts complémentaires de la NRL.
Par exemple si on prend la digue, elle est passée d’un coût de trois cents millions d’euros à quatre cents millions, pour 2,5 km. Si on a déjà augmenté de cent millions, comme proposé par la Région, on a augmenté de 33 %, cent soixante cinq millions du kilomètre. Pour tous les schémas
d’infrastructure auxquels La Réunion va devoir faire face, c’est incontournable, parc de voitures
individuelles et transports en commun. Pour l’instant la Région n’a lancé que des études sur le
transport en commun. Là en prévision des municipales, la Région lance l’étude du RunRail dans
l’Est. Dans la réalité, il n’y a que des études. Pareil sur la traversée de Saint-Denis, il n’y a que des
études. Est-ce qu’on va trouver les sous demain pour réaliser concrètement le RRTG ? Je ne vois
pas. Je crois que ce serait intéressant de s’associer au projet ATER, parce qu’il n’y a pas qu’un
seul mode de déplacement, ce qui peut être développé comme transports en commun. Ce serait
intéressant d’associer à l’exposé un parallèle avec l’étude du SETU concernant les tunnels, qu’on
puisse extraire une approche financière et une approche technique pour montrer la faisabilité, que ce n’est pas simplement une pétition de principe. Je rêve de faire une liaison entre Salazie et
Cilaos, ou bien faire un raccourci sur le cassé de la Plaine des Cafres, qu’on garde la route touristique, mais qu’on puisse aller plus vite sur la liaison Saint-Benoît – Saint-Pierre, pourquoi
pas ? Il n’y a pas de raison de passer nécessairement par le volcan quand on veut faire une liaison
rapide. Tout est possible, tout est envisageable. Pourquoi ne pas imaginer tous les modes de
déplacement possibles, quitte à ce que l’on mette ça sur la table des décideurs publics pour montrer que c’est possible.
En ce qui concerne le Japon, les terrains ressemblent énormément aux nôtres. Par exemple, pour les glissements de terrain, dans la région de Gifu, j’ai vu des gens travailler sur des problèmes
similaires avec une route qui sur une centaine de mètres s’est effondrée d’un mètre, comme à
Salazie. Globalement ce sont les mêmes types de roches, les mêmes types de géologie volcanique. Les types de tunneliers utilisés au Japon seraient adaptés pour des travaux à La Réunion.
François Payet : On peut faire des tunnels dans n’importe quelle roche, même dans du sable, c’est
ce qui a été fait pour le tunnel sous la Manche. On a travaillé dans tous les cas de figures, dans du
calcaire, dans de la roche friable qui se solubilise avec l’eau, dans de la roche stable, le tunnelier
se chargeant d’accompagner l’extraction, les boues que l’on tire à l’extérieur, et dans les pires des
cas, la pose de voussoirs, sinon c’est des treillis avec du béton projeté. Ça dépend du type de roches qu’on traverse. Le tunnelier, c’est la technique d’aujourd’hui, on ne creuse plus avec des
Piémontais et des pelles et des pioches. C’est ce qui a été fait à La Réunion au XIXème siècle.
C’étaient des Piémontais, des Italiens. A mon avis c’est tout à fait jouable. Ce qu’il faut, c’est
montrer, pour que les gens se rendent compte, montrer le potentiel qui existe. Par exemple le circuit d’un métro tout autour de l’île qu’est le projet ATER. Il y a des projets plus courts, comme on a fait sur la Route des Tamarins, au lieu de contourner les lacets comme on faisait avant, en passant sous les obstacles au lieu de suivre les courbes de niveau. Et puis on a des tronçons plus longs, il y a les quarante kilomètres du basculement des eaux, et d’autres circuits potentiels en fonction des besoins. Il y a le téléphérique qui va répondre à certains besoins. Le tramway va répondre à d’autres besoins. La voiture individuelle et la trottinette ne répondent pas aux mêmes besoins. Et il y a une approche qu’il ne faut pas oublier, c’est le FEDER, c’est incontournable de toute façon, avec des arguments qui viendront sur la table de toute manière, y compris in fine comme justification pour les élus. C’est un pacte en matière de savoir-faire et de création d’emplois. Si on fait un seul tunnel, il est clair qu’on fait venir des extérieurs, ou bien on forme des gars qui ensuite partiront parce qu’ils ne trouveront plus d’emplois ici. Si on développe, par exemple dans le schéma d’ATER, plus de deux cents kilomètres, cinq cents kilomètres en tout, ça peut se faire en moins de vingt-cinq ans, mais si on prend les temps d’étude, les aléas, etc. ça va traîner. De toute façon, tous les projets de tunnels ont toujours rencontré des problèmes et dépassé les délais. Mais justement, la planification des projets routiers permet d’anticiper sur la formation des gens, et sur le savoir-faire qu’on veut développer à La Réunion. Je crois que nous avons fait à peu près le tour. Il faut ouvrir l’imagination, débloquer l’imagination. Nous allons nous arrêter là sur ces belles paroles. Nous devons ouvrir le potentiel et arrêter les peurs. Ouvrir aussi les référentiels de comparaison, en sortant du cadre hexagonal, et il y a des exemples comme le Japon, où nous avons beaucoup à voir et à comprendre.
C’est l’ouverture d’un nouveau secteur économique durable pour La Réunion.