Une route inutile et ruineuse met La Réunion dans l’impasse

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Très peu présente dans la campagne des régionales, l’écologie est pourtant au cœur des
enjeux de La Réunion. Pour l’avoir ignoré, les promoteurs de la nouvelle route du littoral
sont aujourd’hui incapables d’achever leur «chantier du siècle». Et l’île n’a pas avancé
dans sa volonté de se décarboner.
La Réunion, correspondance
Vue de la Station spatiale internationale ou du hublot d’un avion approchant ses côtes, La
Réunion est une île brillante. De nuit, elle projette un éclat de lumière électrique presque
insolent au milieu de l’océan Indien, non loin des côtes malgaches noyées dans la
pénombre. Malgré un taux de chômage et de pauvreté bien supérieur à la moyenne
nationale, le département français n’a guère à envier la métropole en termes de signes
extérieurs de richesse. Au nord de l’île, ses falaises surplombent même le plus gros
chantier d’Europe : cette désormais fameuse nouvelle route du littoral (NRL). Sa partie
viaduc en mer, construite par les multinationales Bouygues et Vinci, serpente sur
5,4 kilomètres à plus de 100 mètres du rivage et une vingtaine de mètres au-dessus des
vagues. La partie digue, qui complète le tracé sur près de sept kilomètres, est tout aussi
impressionnante. Sauf qu’elle est inachevée… et pour longtemps.
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Sur les onze candidats au premier tour des élections régionales, dix dénoncent le «cadeau
empoisonné» de la mandature sortante. Et le onzième, le président sortant Didier Robert,
candidat de la droite et du centre soutenu par Les Républicains (LR), n’évoque pas le sujet
dans sa profession de foi distribuée aux près des 650 000 électeurs réunionnais. Ce projet
de NRL avait pourtant pesé lourd dans ses deux précédentes victoires en 2010 et 2015. Il
était alors apparu comme cet élu volontaire, voire têtu, qui allait régler le problème de la
liaison entre la capitale Saint-Denis et la zone Ouest abritant les deux ports commerciaux
et une large portion de la population. 80 000 véhicules y circulent chaque jour selon
Olivier Tricoire, directeur opérationnel du projet NRL pour la Région.
L’actuelle route du littoral, une quatre voies inaugurée en 1976 sous une falaise instable,
est soumise à un fort aléa de chute de pierres, voire d’éboulement massif, provoquant une
vive inquiétude et des mécontentements de Réunionnais. Une vingtaine d’automobilistes
y ont trouvé la mort en trente ans. Elle est également régulièrement fermée lors
d’épisodes pluvieux ou de forte houle, et chaque averse importante provoque son
basculement sur deux voies réduites avec d’importants embouteillages.

Un chantier privé de matériaux

L’important dispositif de filets suspendus le long des parois pour guider les chutes de
pierres dans des «pièges à cailloux» a certes coûté près de 100 millions d’euros, mais il
n’a pas convaincu. Les électeurs ont donc voulu une solution radicale, une 2X3 voies en
mer, et ont finalement validé en 2015 cette version avant l’heure du «quoi qu’il en coûte».
Lors de la réélection de Didier Robert en 2015, la presse locale avait révélé que le chantier
péchait par précipitation puisque La Réunion ne disposait pas — et ne dispose toujours
pas — de carrières de roches massives permettant de satisfaire l’appétit gargantuesque
d’une digue en mer : 19 millions de tonnes de rochers et de remblais. Le planning annoncé
d’ouverture des carrières accusait déjà un retard de deux ans. Les difficultés
d’approvisionnement en matériaux auxquelles s’ajoutaient les premiers aléas techniques,
notamment l’hétérogénéité des fonds marins, présageaient alors une explosion des coûts
de construction déjà astronomiques de 1,6 milliard d’euros. L’association ATR-Fnaut [1],
proche de l’opposition régionale, estime depuis le début que la note finale devrait
approcher les 2,5 milliards d’euros. La suite pourrait lui donner raison.
Durant le premier mandat de Didier Robert (2010-2015), les juges administratifs avaient
rejeté les différents recours contre le projet NRL qu’intentaient la Société réunionnaise
pour l’étude et la protection de l’environnement (Srepen) ou l’ATR-Fnaut, confortant la
Région dans une forme de déni. Les avis négatifs ou les réserves des autorités
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environnementales, comme le Conseil national de la protection de la nature (CNPN),
n’ont pas davantage infléchi la marche forcée de la collectivité, secondée par l’État, qui a
accordé sans barguigner toutes les dérogations nécessaires à la poursuite des travaux.

Puis le vent a tourné : la jurisprudence s’est inversée lorsque la cour administrative
d’appel de Bordeaux (le 29 mai 2018) puis le Conseil d’État ont retoqué les différentes
procédures engagées par l’État pour autoriser l’ouverture et l’exploitation d’une énorme
carrière à Bois Blanc sur le territoire de la commune de Saint-Leu (côte Ouest).

Les écologistes proposent de remplacer la digue par un deuxième viaduc

S’il n’est pas définitivement abandonné, le projet de carrière de Bois Blanc ne fait plus
partie des options défendues par la Région. Depuis un an et demi, Didier Robert avance
qu’il y a suffisamment de gros rochers dans les champs de canne pour construire les
2,7 kilomètres de digue manquants. De fait, les andains — comme on désigne à La
Réunion les rochers issus de l’épierrage des parcelles cultivées — ont servi à bâtir le socle
des premiers kilomètres de digue. Mais cette ressource est limitée. Il a fallu aller en
chercher sur des terrains montagneux déjà vulnérables à l’érosion. Face au risque
d’accidents géologiques, la Direction de l’environnement en a exigé l’arrêt, comme le
signale le dernier rapport de l’Autorité environnementale, fin 2018.
Voilà donc le décor de cette «impasse» qu’est ce viaduc en mer qui s’arrête… en mer. Ce
«poison» pour le ou la futur·e président·e de Région affiche des surcoûts abyssaux. En
l’état, la facture dépasse déjà les 2 milliards d’euros. Les multinationales réclament devant
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le tribunal administratif 414 millions d’euros de «règlements complémentaires» pour le
seul viaduc. Quant à la digue, les conflits à répétition entre les transporteurs-carriers et le
groupement Bouygues-Vinci sont le signe d’une augmentation incontrôlée du prix des
matériaux. Preuve en est, le marché de la dernière portion de digue (dite MT5.2) a été
résilié car les surcoûts dépassaient la limite légale. Les syndicalistes ayant participé aux
dernières réunions techniques rapportent qu’un doublement des prix des matériaux a été
évoqué.
Alors que le chantier est à l’arrêt, la Srepen, accompagnée de deux associations
écologiques (la Société d’études ornithologiques de La Réunion et Vie océane) et de deux
associations de riverains (Touch pa nout roche et Lataniers nout ker d’vie), rappelle que
nous n’en serions pas là si le maître d’ouvrage avait tenu compte, dès les premiers coups
de pioche en 2012, des différents avis environnementaux. Avant cela, le CNPN rendait à
l’unanimité un avis défavorable pour les demandes de dérogations relatives aux espèces
protégées. Il déplorait que l’impact des carrières n’ait pas été évalué.
Les écologistes demandent aujourd’hui aux futurs élus de renoncer à la construction de la
dernière digue et de s’en remettre à une nouvelle expertise. Ils défendent l’option de la
remplacer par un nouveau viaduc en mer, jugé moins impactant sur l’écosystème, et
éviterait aussi les nuisances d’une mégacarrière. Problème : la barge qui a servi à ériger le
premier viaduc a été évacuée et vendue. L’usine qui fabriquait les éléments des piles et du
tablier a été démontée. La Région a toujours rejeté l’option «tout viaduc» au prétexte
qu’elle aurait coûté 140 millions d’euros en plus. Ce qui apparaît désormais mince au vu
du gouffre financier qu’est devenue la NRL.

Toujours plus de carbone à La Réunion

La NRL détruit les paysages et les écosystèmes, mais pas seulement. La philosophie qui a
amené à sa conception est symptomatique du profond malaise de ce territoire de plus en
plus pollué. Le projet concurrent de la NRL, lors de la consultation régionale de 2010,
était celui d’un tram-train se proposant de réconcilier les Réunionnais avec les transports
en commun. Les électeurs ont opté pour le «tout voiture», un modèle polluant et source
d’endettement des ménages, mais symbole de liberté et d’épanouissement. Cette réalité
carbonée est dure à admettre tant les élus réunionnais vantent souvent leur objectif
d’atteindre l’autonomie énergétique d’ici 2030 : dans leurs discours, La Réunion préfigure
l’avenir des îles décarbonées, un modèle pour le monde.
Dans les faits, la part des énergies renouvelables n’a jamais inversé sa tendance à la baisse
depuis les années 1980 lorsque l’essentiel de l’électricité consommée à La Réunion
provenait des centrales hydroélectriques, qui ne sont d’ailleurs pas sans impact
environnemental. Aujourd’hui, seulement un tiers de l’électricité consommée provient
d’énergies renouvelables (charbon 38%, fioul lourd et gazole 30%, photovoltaïque-éolien-
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biogaz 9%, bagasse 9%, hydraulique 14%, selon les chiffres de 2017 de l’Observatoire
Énergie Réunion). Cette part tombe à 13% quand on considère la consommation des
transports.

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